Histoire

Quand un président de la République refuse de partir (Nicole)

Trump en encourageant ses supporters à marcher sur le Capitole voulait-il vraiment faire un coup  d’État ? On peut en douter, même si nous avons tous regardé, sidérés, l’intrusion des manifestants  dans le sanctuaire de la démocratie américaine.
Une connaissance de l’histoire politique française aurait pu lui montrer comment un président, qui  ne veut pas partir, réussit à rester au pouvoir. Un exemple parmi bien d’autres...
Mais de quel président s’agit-il ? Et combien de Français, aujourd’hui interrogés, pourraient répondre  à cette question ? Et pourtant, vous le connaissez tous... Voici un petit récit de cet événement. 
 

Retournons au XIX° siècle et à la République la plus méconnue des Français ; en 1848, une énième  révolution( 1789,1820, 1830, 1848) renverse le pouvoir ; le roi Louis- Philippe Ier opte pour la  prudence, abdique et gagne l’Angleterre ( Louis XVI a été guillotiné, et il le sait d’autant mieux que  son propre père, le duc d’Orléans, député sous le nom de Philippe -Egalité, a voté la mort du roi, son  cousin, à la Convention – depuis et jusqu’à nos jours, les Bourbons et les Orléans se détestent...) . 
La IIème République est proclamée à l’hôtel de Ville de Paris dans l’allégresse générale ou  presque. A tout nouveau régime politique, nouvelle constitution, c’est l’usage en France, à la  différence des Anglo-Saxons ; une assemblée constituante est donc élue au suffrage universel  masculin (qui aurait l’idée de faire voter les femmes en 1848?)
La Constituante élabore une constitution qui se veut la meilleure possible comme toujours: une seule  assemblée : l’Assemblée législative, 750 députés élus au suffrage universel pour 3 ans – et un  président élu pour 4 ans (on a pris exemple sur les Etats-Unis) mais on a opté, grande nouveauté,  pour un président élu au suffrage universel mais non rééligible. Ceci donne lieu à de grandes  joutes oratoires : le député Jules Grévy, républicain modéré, avertit les autres députés : « Êtes-vous  bien sûrs que dans cette série de personnages qui se succéderont au trône de la présidence, il n’y  aura que de purs républicains empressés d’en descendre ? Êtes-vous sûrs qu’il ne se trouvera jamais  un ambitieux tenté de s’y perpétuer ? »
Suit la réponse enflammée du chef de file du gouvernement provisoire, Lamartine, rêvant d’une  Révolution réussie sans violence ( 1789 sans 1793) - il voyait dans l’exercice du pouvoir « la plus  sublime des poésies » - : « Alea jacta est! Que Dieu et le peuple se prononcent ! Il faut laisser quelque  chose à la Providence . Invoquons- la, prions- la d’éclairer le peuple, et soumettons- nous à son  décret... »
 

La constitution votée, les élections présidentielles ont lieu le 10 décembre 1848. Les candidats sont  nombreux : Cavaignac, Ledru- Rollin, Lamartine, Louis-Napoléon Bonaparte.. ; les royalistes qui  forment le parti de l’Ordre et qui craignent avant tout la venue d’un républicain pur et dur, choisissent  de se ranger derrière un candidat à la fois inattendu, nouveau et dont le nom en même temps résonne  fort dans les campagnes : Louis- Napoléon Bonaparte.
Voici en effet un curieux personnage : un nom célèbre( c’est un neveu de Napoléon), il est né à Paris  en 1808, mais a été élevé en Suisse par un précepteur acquis aux idées révolutionnaires, il est devenu  carbonaro et a participé aux mouvements révolutionnaires italiens en vue de l’unité en 1831 ; il peut  plaire aux ouvriers car il a écrit une brochure sur « L’extinction du paupérisme » ; il a vécu au Brésil,  aux Etats-Unis, en Angleterre, assez peu en France même s’il a tenté deux fois de renverser la  monarchie .. .
Pour Thiers, qui est un des dirigeants du parti de l’Ordre, ce choix paradoxal s’explique :c’est un  «soliveau», «un butor» «un dindon qui se croit un aigle», «un crétin que l’on mènera».  Mais Thiers aurait peut-être dû lire -on n’est jamais assez prudent-ce que « le crétin » écrivait dès les  années 1830 dans « Idées napoléoniennes » : «…De temps en temps, des hommes sont créés, que  j’appellerai providentiels, dans les mains desquels les destinées de leur pays sont remises : je crois  être moi- même un de ces hommes-là. ».
Louis- Napoléon est élu président de la République avec 5,4 millions de voix quand Lamartine  n’en obtient que 18 000 ! Le voici installé au palais de l’Elysée pour 4 ans seulement …
Au fur et à mesure que la fin de son mandat approche, il se rapproche habilement de l’armée et  réclame en même temps par la voie légale la suppression de l’interdiction pour un président de se  représenter : en juillet 1851, sur 724 votants, 446 le suivent et 278 refusent, mais sa demande est  repoussée car il fallait la majorité des trois quarts . Nouveau refus de l’assemblée en novembre 1851 .  Louis- Napoléon a pris soin de faire savoir au peuple que l’Assemblée l’empêche de faire les réformes  sociales qu’il souhaite ( extrait du discours de Dijon en juin 1851 : « j’ai toujours été secondé par l’  Assemblée quand il s’est agi de combattre le désordre par des mesures de compression,. Mais lorsque  j’ai voulu faire le bien, améliorer le sort des populations, elle m’a refusé son concours ». ).N’est-ce  pas l’Assemblée qui s’est empressée de voter une limitation du suffrage universel ? ( loi de mai 1850 :  sont écartés des urnes tous ceux qui ne peuvent justifier de trois ans de domicile dans le même canton ;  cette loi exclut du droit de vote les plus pauvres qui louent leurs bras et se déplacent à la recherche  de travail, soit « 30 % du corps électoral et jusqu’à 50 % dans les grandes villes).Le péril rouge fait  très peur...
 

Les voies légales étant épuisées, il reste l’illégalité, le coup de force. 
Encore faut-il bien le préparer. Mais dans la famille Bonaparte, on sait faire. ( Cf le coup d’État du  18 brumaire /9 novembre 1799) et on a même des dates emblématiques ( le 2 décembre est leur date  préférée : date du sacre de Napoléon Ier( 1804) date de la victoire d’Austerlitz ( 1805) ; c’est donc le  2 décembre 1851 que le coup d’État est proclamé (des affiches dans Paris annoncent au petit matin  que l’Assemblée est dissoute et la loi interdisant la réélection du président abolie, le suffrage universel  rétabli), on a pris soin d’arrêter les opposants éventuels dans la nuit à Paris et dans les grandes villes .
 

Que va-t-il se passer ? Le coup d’État va-t-il réussir ?
200 à 300 députés monarchistes réunis dans la mairie du X° arrondissement ( le VII°actuel)  proclament la déchéance du président pour crime de haute trahison. Ils sont dispersés et  emprisonnés. 
Quelques barricades de républicains se dressent dans Paris, la troupe ouvre le feu sur une foule  mécontente et fait plusieurs centaines de victimes le 4 décembre. La nouvelle du coup d’État parvient  en province et l’agitation se développe dans le Centre et le Midi . Au matin du 2 décembre, les canons  installés sur la Canebière étaient prêts à tirer sur d’éventuels manifestants mais dans la nuit les  meneurs républicains et socialistes avaient déjà été arrêtés, les presses de leur journal brisées.Au  Château d’If, les 304 prisonniers tentent de s’évader et de mettre le feu à une poudrière ; ils sont pris  les armes à la main et condamnés à la déportation pour la plupart. Le Nord des Bouches- du Rhône,  le Var, les Basses-Alpes insurgés appellent en vain au secours les Marseillais, l’opposition y a été  démantelée.
 

Peut-on faire un coup d’État sans violence ?
Rarement : voici le bilan du coup d’État de Louis- Napoléon : 
- Plus de 2000 morts dont environ 400 à Paris
- 26 884 condamnations dont 247 renvois en Conseil de guerre, 239 déportations au bagne de Cayenne,  9 581déportations en Algérie, 980 expulsions, 5 194 mises en résidence surveillée dans une commune  française. Plus de 1500 proscriptions visent des républicains parmi lesquels Victor Hugo et Edgar  Quinet.
Le plébiscite des 21- 22 décembre apporte à Louis- Napoléon une approbation massive ( 7, 4  millions de oui contre 647 000 non : de l’avantage d’avoir arrêté les principaux opposants…
Ayant annoncé « vouloir sauver la République », Louis-Napoléon, le prince-président, fait prolonger  son mandat présidentiel pour dix ans par le plébiscite des 21- 22 décembre 1851 mais dès l’année  suivante, par un nouveau plébiscite il fait ratifier le retour de l’Empire. Et c’est bien sûr le 2 décembre  1852 qu’il prend le titre d’empereur des Français sous le nom de Napoléon III. C’est ainsi que  « le crétin qu’on mènera par le bout du nez » » « Napoléon le Petit »( dixit Victor Hugo exilé à  Guernesey) allait exercer son pouvoir encore pendant près de 20 ans.
 

Faire un coup d’État ne s’improvise pas et de préférence il faut avoir l’armée avec soi. Trump n’a pas  fait de coup d’État ; il a chauffé à blanc ses partisans, ce qui a provoqué cette émeute, cette  insurrection débridée .
Quant à élire un président au suffrage universel, pendant un siècle, la France s’en gardera bien et on  s’efforcera même de réduire nettement les pouvoirs du président sous la III° et IV° République ; il  faut attendre la modification constitutionnelle de 1962 sous la V° République pour que le président  soit élu au suffrage universel ! Cette modification a accru le pouvoir du président, « un monarque  républicain » (Michel Debré) élu et rééligible ; mais ce régime politique français qui se définit  comme un régime semi-parlementaire, semi-présidentiel semble convenir aux Français et cette  constitution fonctionne depuis 62 ans!
 

Commentaires

  1. Pierrette VM08/02/2021 11:36

    Très intéressant ce rapprochement entre l’actualité américaine et notre histoire ! Je ne suis sans doute pas la seule à avoir oublié les circonstances du coup d'État de Napoléon III et l’histoire de la Deuxième République, qui était finalement très en avance avec son mandat unique de quatre ans et son élection au suffrage universel direct (même si masculin) !
    Le pouvoir aimante ! Dur d’y renoncer...Et des présidents qui ne voudraient pas partir, il doit y en avoir beaucoup (tous?). Souvenir d’un fauteuil vide filmé par la caméra révélant le désir et le manque … Mais ils partent, généralement, dans les démocraties …normalement...
    Napoléon III, dans une démocratie, a réussi à s’emparer du pouvoir et à y rester. Démocraties fragiles...Comme tu dis, Nicole, ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Actuellement, de nombreux présidents africains s’accrochent à leur fauteuil par la force des armes, par le refus d’élections sous des prétextes divers, par des tripatouillages électoraux ou par modification constitutionnelle et détiennent ainsi des records de longévité au pouvoir (une dizaine depuis 28 ans jusqu'à 42 ans...) Et Poutine a manoeuvré pour que les Russes, consultés par référendum, l’autorisent avec l’adoption de la révision constitutionnelle à se maintenir au Kremlin jusqu’en 2036, l’année de ses 86 ans... Président à vie ...
    Les café-Histoire nous manquent beaucoup.Très bonne idée, Nicole, cette version virtuelle !

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