Le roi tué par un cochon( Michel Pastoureau), op.cit.
Quel rôle joue le cochon dans les sociétés médiévales?
Le porc est un animal ordinaire de la vie quotidienne au Moyen-Age. Souvent les paysans disposent d'une ferme et d'une parcelle - qu'ils tiennent du seigneur ( tenure) ou en autonomie ( alleu) ; ils ont aussi quelques moutons et un à deux porcs. Les boeufs sont rares, ils servent aux labours et à la fumure: ils sont possédés par les paysans les plus riches ( laboureurs) qui les louent pour les grands travaux tandis que les paysans les plus pauvres louent leurs bras ( manouvriers).
Ceux qui ont des cochons les gardent parfois autour de la ferme mais le plus souvent , tous les porcs d'un village sont réunis en un troupeau et confiés à un porcher qui les promène au bord des chemins et en forêt; être porcher est très mal considéré: c'est tantôt un simple d'esprit ou un jeune garçon très pauvre. Dans la forêt , le porcher vit souvent dans une cabane près de ses bêtes.(comme lui, le charbonnier ou le bûcheron qui vivent dans la forêt sont montrés du doigt). Le porcher a souvent une soixantaine de porcs à surveiller. Le porc est assez dévastateur; il mange des glands, des herbes, des champignons, des fruits sauvages, des petits animaux, mais quand la nourriture manque, il dévaste la forêt: il creuse, il dénude les racines, il déterre les graines. Au fil des siècles, on va restreindre le droit de pacage.
En ville, on trouve aussi beaucoup de porcs dans les jardins , les arrières- cours, les terrains vagues; mais il y a aussi beaucoup de porcs vagabonds qui jouent le rôle d'éboueurs;ils se nourrissent de déchets et d'ordures; début XIII°, plusieurs villes font entourer les cimetières de murs pour empêcher les cochons de déterrer les cadavres. Il y a aussi beaucoup de procès mettant en scène des porcs qui ont dévasté un jardin, pillé une boutique ou blessé des enfants.
Le cochon occupe la première place dans l'alimentation carnée. Presque toutes les maisons ont un lardier : on y sale , on y fume, on y conserve la viande. Le porc est tué à l'entrée de l'hiver; on en profite pour manger un peu de viande fraîche, rôtie ou bouillie mais jamais grillée. Grâce au lard et aux salaisons, les paysans aisés et les citadins peuvent manger de la viande une bonne partie de l'année ( pas pendant le Carême): le plat carné le plus ordinaire est une bouillie ou une soupe de pois avec un bout de lard.
Mais le porc reste un symbole de bête impure. Dans la Bible, seuls les païens en consomment; ce n'est pas mieux dans les Evangiles. Les clercs du Moyen- Age connaissaient bien la parabole du possédé ( Mathieu,8, 30-34; Marc, 5, 9-20, Luc ,8,30-39 ) : Jésus ordonne aux démons de sortir de ce corps, l'homme retrouve ses esprits mais les démons sont entrés dans un troupeau de porcs qui se trouvait à proximité et les porcs devenus fous se jettent dans le lac de Tibériade; le porc est devenu un des attributs de Satan ou Satan lui- même car le diable grogne comme un goret et comme le porc aime se vautrer dans l'ordure. Le porc en vient à représenter bien des péchés: la saleté, la gloutonnerie,la colère.On le dit animal infernal parce que, la gueule ouverte,il regarde toujours vers le sol ( le monde infernal est sous- terre)et jamais vers le Ciel .De plus il est noir, gris, brun, tacheté (pas de cochon rose jusqu'au XVIII°), (le noir est la couleur de Satan); il y voit mal(suppôt du diable car Dieu est lumière); toutefois ce n'est que tardivement qu'on lui imputera le péché de luxure (pas avant le XV° et ce n'est qu'au XVII° que "cochonneries"se met à désigner des pratiques obscènes).
Paradoxalement, dans la chrétienté médiévale, le porc est devenu l'attribut des juifs au moment où l'antijudaïsme émerge: on voit dans l'iconographie se répandre l'image d'enfants juifs tétant une truie (image reprise bien plus tard par la propagande nazie).
Et pourtant, le cochon prend parfois un aspect positif en accompagnant un saint: le plus célèbre est celui qui accompagne saint Antoine, ermite vivant en Egypte au III°siècle et considéré comme le père du monachisme. L'Occident chrétien s'emparant de sa légende l'arrangea à sa façon et au lieu de devoir affronter le démon caché dans une bête sauvage, on le retrouve accompagné d'un fidèle cochon tendre et protecteur. Le mystère reste entier , nous dit Michel Pastoureau sur la transformation de cette hagiographie ( vie de saint)!
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