Les épidémies du XIX° siècle, "Les malheurs du temps"(Jean Delumeau, Yves Lequin, ed. Larousse, 1988 )
En 1823, un statisticien anonyme croit pouvoir annoncer la fin des grandes épidémies en France.
En effet, le typhus "fièvre des camps" disparaît en même temps que les troupes napoléoniennes regagnent leurs foyers. La peste fait son retour entre 1814 et 1816 (Bosnie, Dalmatie, Pouilles), on s'en alarme mais elle épargne l'Europe occidentale. Le 28 mars 1800, est vacciné à Rochefort le premier Français contre la variole: la variole était source de mortalité endémique, sévissant tous les trois ou quatre ans à la fin du XVIII°siècle: en huit ans 2,5 millions de personnes sont vaccinées, la mortalité s'effondre ."La vaccination est un devoir pour tous les amis de l'humanité": elle participe de la religion ambiante du progrès, et de l'utopie révolutionnaire de l'Homme Nouveau qui bientôt grâce à la science pourra triompher de tous les maux.
Mais hélas voici qu'un nouveau venu fait son apparition: le" choléra morbus": il vient de l'Inde et on pense qu'il ne touchera pas l'Europe.; il apparaît en 1831 du côté de la Pologne. La presse suit sa progression. Un véritable dispositif de guerre préventive est mis en place: le pouvoir politique s'agite;on quadrille le territoire de commissions; médecins et fonctionnaires sont submergés d'informations sur la maladie et les soins à apporter; dans les ports les lazarets accentuent la surveillance ,élargissent les quarantaines et alourdissent les peines pour toute transgression. Mais la presse se montre rassurante : la France a toutes les chances d'être épargnée grâce à son climat tempéré et à l'hygiène de ses habitants et grâce aussi à leur force d'âme...
C'est en plein carnaval,alors qu'on joue à "Nicolas Morbus" que "le plus sémillant des arlequins sentit trop de fraîcheur dans ses jambes,ôta son masque et découvrit ,à l'étonnement de tout le monde,un visage d'un bleu violet" ( H. Heine);débutant le 26 février 1832 à Paris,le choléra a gagné tous les quartiers dès le 1er avril. La mort bleue est à la fois effroyable et rapide. A Paris, on dit que la moitié des infectés ne passe pas la journée . C'est en effet au début de l'épidémie que la survie est la plus faible: vomissements, cyanose,yeux caves et regard halluciné annoncent la fin; elle survient rapidement dans les trois jours, au plus dans la semaine. 75% des Parisiens morts du choléra sont morts dans le premier mois de l'épidémie.
Les trajets de l'épidémie restent étranges et inexpliqués: Pas-de Calais, Paris, Bassin Parisien, Ardennes ,Normandie, Ouest breton, vallée du Rhône..Comment expliquer que certaines régions soient très peu touchées, qu'inversement 4 départements fournissent la moitié des victimes?Pourquoi dans une même ville, certains quartiers sont épargnés quand d'autres concentrent tous les morts? On retrouve toutes les horreurs de la peste: les cercueils empilés, les corbillards qui manquent à l'appel, le glas qui ne sonne plus, les convois funèbres que personne ne suit.Il est des journées terribles: le 25 juillet 1833, Marseille compte 210 victimes et 173 le lendemain. Que faire? On ne peut que se tourner vers la science médicale.
Mais la médecine semble impuissante alors qu'elle se pensait triomphante en ce début de siècle. Si certains médecins commencent à comprendre l'intérêt de la réhydratation, on revient le plus souvent aux vieilles prescriptions: mercure, huile de cajeput, extrait d'aloès, belladonne, sangsues et l'inévitable saignée.On ingurgite à titre préventif différents élixirs.On est d'autant plus surpris qu'alors qu'on se croit hors d'atteinte du fait d'une accalmie, le choléra revient .Faut-il se cloîtrer ou fuir?.
Très vite la crise économique et sociale se développe car tout s'arrête. .Les échoppes ferment, les affaires s'arrêtent, les foires et les marchés sont désertés; on cesse même parfois de cultiver les champs. On peut citer les maçons limousins quittant Paris faute de travail et répandant la maladie sur le chemin du retour.Marseille en 1833 stoppe ses échanges, met les navires en quarantaine, abandonne ses collèges et barricade ses quartiers. La panique gagne surtout au sud-est où l'on avait encore le souvenir de la peste de 1720. Si parmi les victimes, les grands ne sont pas épargnés, Casimir Périer et le général Lamarque à Paris, le négociant Reymonet et Marius Olive, administrateur de la Gazette du midi à Marseille, les pauvres meurent tout de même en plus grand nombre. Le choléra très vite semble lié à la misère. Il faut dire que les notables ont vite pris la fuite et quitté la ville pour se mettre à l'abri mais ils ont servi d'exemple. Aux premières alertes d'un nouvel épisode de choléra à Marseille en 1835, en janvier, ils sont 10 000 à suivre les notables hors de la ville et 25 000 au pire de l'épidémie en août à camper aux abords de l'agglomération (certains chroniqueurs disent même 60 000 soit la moitié de la population)!ce qui paraît bien exagéré mais le sensationnel fait désormais recette dans la presse. .Les parlementaires ont gagné leurs provinces; dans le Var il faut suspendre les congés des fonctionnaires; à Aix et dans plusieurs villes du Midi , c'est la fuite vers la campagne environnante.Pour limiter ces exodes, préfets et maires s'efforcent de rassurer, nient l'épidémie, disent vouloir dissiper "les bruits exagérés". Les médecins de leur côté, incertains de leur diagnostic et des remèdes à apporter, sont découragés, les hôpitaux surchargés, bondés. L'épidémie baigne dans un optimisme du discours officiel que le quotidien dément, d'où les soupçons des citoyens à l'égard des gouvernants et du corps médical. Autant s'en remettre à Dieu ou à la Vierge Marie!A Marseille, 30 000 fidèles massés au centre de la ville montent jusqu'à la Vierge de la Garde; partout gonflent messes et processions. On veut croire au pouvoir des saints guérisseurs, on voit se répandre des bruits de miracle.
Mais il faut des responsables, les soupçons fusent...
Pour un journal parisien royaliste ultra-catholique, le choléra est une juste punition pour Paris ville de la Révolution et des mauvaises moeurs. Pour d'autres,le choléra ne serait-il pas une forme ultime et radicale du règlement de comptes social? une façon de se débarrasser des pauvres.?.Quand le prix des médicaments- surtout celui du camphre- .flambe( simple question d'offre et de demande): on y voit la preuve d'un pacte de famine d'un autre genre.Qui veut encore et toujours punir les pauvres? D'autres s'interrogent sur les origines politiques de l'épidémie. A Paris, on accuse les dissidents politiques, les républicains, d'empoisonner les eaux; certains accusent les marchands de pervertir le vin, les liqueurs, les dragées..dans la Meuse, dans le Var, à Brest, on parle d'empoisonnement: on surveille les fontaines et les étrangers; à Paris quelques suspects sont lynchés. Les pauvres accusent les riches ...mais les riches craignent désormais le contact des pauvres suspectés de transporter la maladie. On associe le choléra à la misère, à la criminalité, aux mauvaises moeurs. ..
L'épidémie de 1832,la première, est la mieux connue car elle a sidéré; elle finit par quitter Paris puis le reste du pays non sans avoir fait environ 100 000 morts.On veut croire que c'est bien fini! Or une deuxième vague survient moins de 15 ans après, encore plus terrible: 150 000 morts. Marseille, le Nord ,Paris, , l'Ouest, le sud-ouest sont touchés. A partir de là le choléra revient ici ou là en 1865, en 1873, 1884, 1892, 1910. Une autre épidémie qu'on croyait vaincue par la vaccination revient: la variole ;le vaccin ne protège plus! On compte 438 morts à Marseille en juin 1828 et 429 en juillet. 2000 morts à Caen, un record;2000 à Bordeaux en 1870; à Paris pendant le siège de 1870,elle occasionne 15 000 décès, trois fois plus que les combats à venir. Aucune région ne lui échappe. La variole semble faire plus de morts que le choléra. On ne la distingue pas toujours bien d'autres épidémies: typhoïde, dysenteries, rougeole et scarlatine.
Mais ce qui frappe le plus les concitoyens n'est pas toujours ce qui tue le plus: pas de foule en délire ni de processions pour la maladie qui a provoqué le plus de décès au XIX° siècle: la tuberculose : au total 9 millions de Français en seraient morts. 2O fois plus que les morts du choléra. C'est la maladie de l'innocence , de la jeunesse, car plus d'une fois sur deux on en meurt avant 30 ans. On parle de "mal anglais", de "morbus viennensis", de "maladie de poitrine" , de phtisie mais surtout on n'en parle guère; on essaie toute sorte de remèdes sans grand succès: soufre, quinquina, ergot de seigle, sels d'or, diète ou suralimentation, repos ou mouvement.. Restent deux autres fléaux du XIX°sur lesquels on reste tout aussi discret: la syphilis et l'alcoolisme. La syphilis reste le" mal secret", "l'avarie" dont les hommes parlent entre eux avec une certaine crudité comme le montrent les écrits de Gautier,Flaubert ou Maupassant; la maladie reste mal connue jusqu'aux années 1880.L'autre maladie est l'alcoolisme; l'alambic moderne permet une production industrielle d'alcool à laquelle correspond une consommation de plus en plus massive: n' invoque-t-on pas les vertus antiseptiques de l'alcool pour chasser des poumons la poussière de charbon ou de coton? les vins cuits produits en très grande quantité sont censés être préventifs, curatifs et fortifiants. L'absinthe s'y ajoute: on vante ses qualités digestives!..En 1915 les Français sont devenus " le peuple le plus alcoolisé du monde".En fait, à la différence des épidémies, qui sidèrent les populations par leur soudaineté et leur contagiosité, la tuberculose, l'alcoolisme ou la syphilis tuent en silence et en prenant leur temps..
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