Flaubert(Michel Winock)"se marier au XIX°"

 Flaubert (Michel Winock)

Se marier, au XIX°siècle/

Gustave Flaubert avait un frère,Achille avec qui il ne s'entendait guère et une soeur Caroline, à laquelle il était très liée; ne l'a-t-il pas accompagné en voyages de noces, avec sa propre mère! il paraît que cela se faisait à l'époque. Deux ans plus tard, elle accouche d'une petite fille ,qu'on appelle aussi Caroline; la  jeune accouchée meurt dans les huit jours d'une fièvre puerpérale , ça arrivait fréquemment... Aussitôt Mme Flaubert qui vient de perdre successivement son mari et sa fille, s'empare du bébé qu'elle entend bien élever seule.Le père , fou de douleur, semble retrouver la raison mais la justice refuse de lui remettre l'enfant. C'est Flaubert qui désormais va jouer le rôle de père, lui qui n'a jamais voulu d'enfant; il va prendre son rôle très au sérieux, d'autant qu'il vit de ses rentes, habite chez sa mère dans la demeure familiale de Croisset près de Rouen et c'est là qu'il écrit quand il n'est pas à Paris. La petite fille est élevée à la maison: Mme Flaubert lui apprend à lire et à écrire, Flaubert lui sert de professeur et une institutrice anglaise complète cet enseignement en lui apprenant l'anglais et le piano. La fillette adore son oncle et c'est une affection réciproque: quand on a ouvert un livre, il faut"l'avaler d'un seul coup", lui dit-il. "Puisque tu es mon élève, je ne veux pas que tu aies ce décousu dans les pensées,ce peu d'esprit de suite ,qui est l'apanage des personnes de ton sexe." Chez les Flaubert, on est indifférent à la religion, mais la petite fille va au catéchisme et montre une grande piété. Mon oncle, dit-elle, voyait là une grande poésie qui convenait à mon âge.Devenue adolescente, elle semble s'ennuyer fort entre une grand-mère âgée et un oncle occupé par son oeuvre:le temps s'écoule lentement à Croisset; Elle rêve de quitter Rouen.. Pour l'occuper,on lui trouve des cours de dessin, elle montre un certain talent et tombe amoureuse du professeur de vingt ans son aîné. Mais cette inclination inquiète la grand-mère et l'oncle.Il est donc décidé de lui trouver un bon parti. Elle n'a pas encore dix-huit ans.

Un jeune homme, entrevu au mariage de sa cousine, vient demander sa main à Mme Flaubert, qui , aussitôt accepte. Mais Caroline n'apprécie guère ce fils de négociant en bois; certes, il est assez bel homme et porte beau, il a du bien, mais elle n'est pas attirée...Elle le rencontre deux fois. Elle hésite. On lui fait valoir la bonne situation, "un homme qui est riche, qui l'aime et qui l'accepte sans un sou"..Dans ses lettres à Flaubert qui séjourne à Paris , on sent son peu d'enthousiasme:"cet état d'indécision ne peut durer, il paraît que ça commence à être su dans Rouen"; "j'ai si peur, si peur de me tromper".

 Sous la pression, elle finit par céder. Le futur époux envoie chaque semaine de beaux bouquets : "non seulement mon fiancé s'occupait beaucoup de moi, mais pour toute la famille, j'étais devenue subitement une personne importante...J'étais ahurie par les courses à faire, les gens à voir, les choses à décider: maison à louer, mobilier à acheter..." Prise dans le tourbillon de la grande affaire du mariage, elle semble oublier la suite à venir.Le mariage a lieu  le 6 avril 1864 et les époux partent en voyage de noces en Italie.

Nous connaissons la suite par les confidences de Caroline dans ses Heures d'autrefois. On apprend qu'elle avait décidé très tôt qu'elle n'aurait jamais d'enfant ( sa mère et son arrière grand -mère étaient mortes quelques jours après avoir accouché) et elle dit avoir demandé à sa grand -mère de prévenir le fiancé, ce qu'elle ne fit pas. Voici ce que Caroline dit dans ses Mémoires : " comment ma grand-mère avait-elle pu agir avec si peu de sérieux?Comment n'avoir pas reculé devant la responsabilité de me marier avec la preuve de mon manque absolu d'amour pour mon fiancé et celle de mon incompréhension totale des devoirs du mariage? ..Il me faut pourtant dire à quel point je fus sacrifiée dans l'acte le plus important de la vie de la femme". On sait que le voyage de noces s'est très mal passé mais par fierté Caroline ne dit rien. Flaubert la croit heureuse; il confie à un ami : "mon nouveau neveu me paraît un excellent garçon ..il adore sa femme. ..il a une scierie mécanique à Dieppe..Il est très considéré par les bourgeois comme honnête homme et homme capable dans son industrie."

Après une jeunesse sans joie, commence une morne existence d'épouse , à Rouen puis dans la banlieue de Dieppe. Le divorce étant interdit , il faut se résigner à vivre côte à côte. Ils n'eurent pas d'enfant. A peine un an plus tard ,Caroline tomba amoureuse du baron Ernest Leroy, le préfet, rencontré lors d'un bal qu'il avait donné. Pendant des années, il la couvre de bouquets et de messages d'amour. Elle le trouve "sans beauté" mais avec des "yeux ardents, un teint pâle, un visage fatal,comme on dit dans les romans"; elle assure que cette liaison n'alla pas jusqu'à l'adultère:"La pensée d'être la cause de désespoir des trois êtres auxquels je me jugeais d'appartenir -mon mari, mon oncle et ma grand-mère - m'empêcha de fuir avec celui que j'aimais"mais "je ne fus plus seule". Mais le baron meurt en 1872, elle tombe malade et part avec son oncle écrivain prendre les eaux à Luchon.C'est là qu'elle lui raconte tout. "Il sut ma blessure,je me livrai  à lui entièrement et il comprit combien peu heureuse était mon union ( avec mon mari) et à quel point il se souciait peu de ce que contenaient mon coeur et mon esprit."

Michel Winock conclut: Flaubert,"le pourfendeur de la bourgeoisie s'était montré en cette affaire parfaitement conforme aux préjugés de cette classe qu'il abominait et qui était la sienne."

  

 


Commentaires

  1. Apparemment, d'après ce récit, Flaubert n'a découvert qu'en 1872 que sa chère nièce n'était pas heureuse en ménage. Lui qui avait si bien décrit l'ennui du mariage chez Emma Bovary (le roman avait été publié en 1857) n'a pas su voir ce qui se passait sous son nez ! C'est classique...
    La condition des femmes mariées au XIXe siècle est aussi au centre de maintes oeuvres de Balzac (entre autres "Mémoires de deux jeunes mariées" ou "La Femme de trente ans") ou du roman "Une Vie" de Maupassant.

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