Le roi tué par un cochon (, Michel Pastoureau)
Mais quel roi de France a donc été tué par un cochon ?
Si l'histoire enseignée n'a guère gardé trace de ce roi tué par un cochon , c'est parce qu'il s'agit en fait du fils aîné d'un roi; les premiers Capétiens sont des rois élus; pour imposer leur dynastie, avec l'appui de l'Eglise, ils font sacrer leur fils aîné de leur vivant ; l'élection se réduit peu à peu à une approbation des barons et clercs présents au sacre. Le sacre est une cérémonie très importante car celui qui est sacré devient inviolable: élu de Dieu, il ne peut être renversé.L'onction en fait un personnage hors du commun: il a désormais le pouvoir thaumaturgique, pouvoir de guérir les écrouelles (inflammation des ganglions du cou d'origine tuberculeuse).
Le roi régnant est alors Louis VI le Gros , cinquième capétien; son fils aîné , Philippe est acclamé le dimanche de Pâques 1120 par une assemblée de prélats et de barons: il n'a pas quatre ans; mais désormais dans les actes royaux, chaque décision du roi est dite prise "avec l'assentiment" de son fils Philippe, roi désigné pour la succession sur le trône. Neuf ans plus tard-il a alors presque 13 ans-toujours le dimanche de Pâques, il est sacré à Reims et couronné. Il a été préparé au métier de roi: équitation, maniement des armes, chasse mais aussi instruction, avec d'autres enfants , peut-être comme son père à l'abbaye de Saint Denis.
Mais que se passe-t-il au soir du 13 octobre 1131?Plusieurs versions.. Le jeune roi rentre à Paris en chevauchant avec quelques compagnons; peut-être rentre-t-il de la chasse .Quoiqu'il en soit, sa route croise un cochon errant. Suger, abbé de Saint Denis, ami et conseiller du roi Louis VI , raconte ce tragique événement dix ans plus tard: "Un porc, véritable envoyé du diable,se mit en travers de son chemin et heurta le cheval qui tomba lourdement. Le cavalier, le très noble enfant ,fut projeté contre une grosse pierre,piétiné puis écrasé par le corps du cheval."Le jeune roi mourut peu après le soir ou le lendemain. D'autres chroniques affirment que le roi est mort d'une simple chute de cheval et d'autres encore évoquent la main des ennemis du roi.De très nombreuses chroniques pendant tout le siècle parlent de cette mort accidentelle qui émut profondément la famille royale et tous ses proches .
En ce XII° siècle , l'individu n'existe pas, chacun est inscrit dans sa lignée, sa parenté; la mort misérable du jeune roi rejaillit sur toute la famille.Quel péché a été commis par les Capétiens pour que Dieu leur envoie pareil châtiment?certes 30 ans plus tôt, le grand-père du jeune roi avait créé le scandale en enlevant la belle Bertrarde, épouse du duc d'Anjou et en vivant avec elle après avoir répudié son épouse légitime: le pape l'avait excommunié et jeté l'interdit sur tout le royaume (plus de messes ni de sacrements!)mais le pape et le roi s'étaient ensuite réconciliés.Est-ce la faute de Louis VI, en conflit avec plusieurs prélats pour les élections épiscopales?Le roi est brouillé avec les archevêques de Tours, de Bourges, de Sens, avec plusieurs évêques dont celui de Paris ; Bernard de Clairvaux( St Bernard) est intervenu en personne pour mettre fin à ces querelles. L'archevêque de Sens n'a-t-il pas pour surnom "Henri Sanglier" .Dieu aurait laissé le diable punir le roi en ôtant la vie à son cher fils aîné...
Comment faire oublier cette souillure? D'abord un très bel enterrement: le pape , de passage à Reims pour ouvrir un concile, vient consoler le roi: "Philippe était trop parfait pour vivre en ce monde": le roi étant inconsolable, l'abbé Suger s'occupe de tout: des funérailles royales le 15 octobre dans la nécropole des rois à St Denis (on peut encore voir son tombeau) et un nouveau sacre dans la cathédrale de Reims., le 25 ,10 jours après,le temps que les grands féodaux arrivent. C'est le pape Innocent II qui couronne le jeune Louis âgé de 10 ans. Les Capétiens sont encore une dynastie fragile: Louis VI est obèse, vieux, malade et le cadet qu'on vient de couronner est plutôt malingre : on l'avait destiné à la carrière ecclésiastique.Les grands féodaux sont remuants, surtout le duc de Normandie qui est aussi roi d'Angleterre. Pour assurer la dynastie, le roi et le reine conçoivent aussitôt un fils à qui on donne le prénom du mort: Philippe. Il sera destiné à l'état ecclésiastique. Louis VI avant sa mort arrange le mariage de son fils couronné avec l'héritière du duché d'Aquitaine, la belle Aliénor, âgée de 15 ans; vive, gaie, indépendant;,pourra-t-elle s'entendre avec cet homme sombre, dévot, inquiet.et mal préparé à son métier de roi?
La souillure de 1131 semble en fait s'étendre au point que le jeune roi Louis VII se croit maudit: Aliénor ne lui donne aucun héritier pendant huit ans et ensuite deux filles (pourtant après le divorce et son remariage avec le roi d'Angleterre, elle va donner naissance à huit enfants!). Mal préparé à son métier de roi, maladroit et obstiné ,il réussit à se fâcher avec le pape et même avec le grand (St) Bernard de Clairvaux, célèbre dans tout l'Occident. Le pape excommunie Louis VII et jette l'interdit sur tout le royaume. Enfin ses troupes sont responsables d'un massacre : Louis VII, roi chrétien, est accusé d'avoir fait brûler "plus de mille enfants de Dieu réfugiés dans une église".
Louis VII finit par se réconcilier avec le pape, St Bernard le confesse et pour faire pénitence il accepte de partir en croisade; mais cette deuxième croisade à laquelle participe aussi l'empereur d'Allemagne Conrad III est un échec. Aliénor a accompagné son époux malgré une mésentente croissante; au retour on parle de divorce. Plusieurs princes et chevaliers sont morts. Se croyant toujours maudit , il demande conseil à Suger,et à Saint Bernard ; pourquoi ne pas mettre le royaume sous la protection de la Mère de Dieu?
Le culte de la Vierge Marie est en plein essor au XII° siècle en Occident. L'Ave Maria devient prière officielle avec le Credo et le Pater.La Vierge est de plus en plus présente dans les sermons; elle fait désormais des miracles, elle a ses lieux de pèlerinage; Louis VII, d'une piété extrême, ne cesse de l'invoquer . Sa première fille s'appelle Marie, ce prénom n'était pas d'usage chez les Capétiens.Pour St Bernard, la Vierge est la pureté absolue, qu'il compare à un lis ; sa pureté la fait trois fois vierge: vierge avant la naissance de Jésus, vierge pendant l'accouchement et vierge après: les trois pétales de la fleur de lis en sont le symbole.L'autre attribut de la vierge est la couleur bleue, symbole de pureté. Suger pour les vitraux de l'abbaye de Saint Denis fait venir d'Allemagne,un bleu à base de cobalt. L'azur et le lis deviennent progressivement emblèmes de la royauté.
C'est surtout au XIII° siècle que les armoiries royales présentent des fleurs de lis d'or sur fond d'azur. L'idée que le misérable porc tuant le jeune roi soit à l'origine de l'azur et des fleurs de lis comme emblèmes royaux ne peut être prouvée ni contredite; Michel Pastoureau, historien spécialiste d' héraldique, de l'histoire des couleurs et de celle des animaux fait là une brillante démonstration tout en nous rappelant avec modestie que cela reste une hypothèse, séduisante et probable.
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