La panthère des neiges (Sylvain Tesson)

 Sylvain Tesson, né en 1972 à Paris, est un écrivain voyageur. Géographe de formation, il choisit très jeune de faire des voyages et des expéditions dans des conditions souvent extrêmes (traversées de continents à vélo ou à pied) dont il rapporte des carnets ou des films. Auteur de récits de voyage et de livres de réflexion, il est lauréat de nombreux prix littéraires dont le prix Goncourt de la nouvelle en 2009 avec Une vie à coucher dehors et le prix Médicis essai en 2011 pour Dans les forêts de Sibérie.

La panthère des neiges a reçu le prix Renaudot en 2019.

«– Tesson ! Je poursuis une bête depuis six ans, dit Munier. Elle se cache sur les plateaux du Tibet. J'y retourne cet hiver, je t'emmène.
– Qui est-ce ?
– La panthère des neiges. Une ombre magique!
– Je pensais qu'elle avait disparu, dis-je.
– C'est ce qu'elle fait croire.» 

Telle est la quatrième de couverture  de cet ouvrage. L'auteur accompagne le photographe animalier Vincent Munier dans une expédition au Tibet, dans l'espoir d'apercevoir l'une des dernières panthères des neiges.

Il nous offre de magnifiques pages sur l'un des espaces encore préservés de la planète, quasi inaccessible, aux rudes conditions climatiques. Par des températures de -30°C, au coeur de paysages somptueux, les observateurs doivent déployer ressources physiques et trésors de patience, pour guetter indéfiniment, et peut-être vainement, l'apparition de la rarissime reine du camouflage. En attendant, affût après affût, la faune sauvage locale se dévoile peu à peu, de plus en plus menacée par l'activité humaine.

Un désenchantement plein d'auto-dérision imprègne le texte, Sylvain Tesson exprimant sa certitude d'observer un monde sauvage en sursis, décimé par l'irresponsabilité des hommes. Avec de nombreuses références tant occidentales qu'orientales, l'auteur nous livre une réflexion philosophique et spirituelle forte, souvent formulée en des aphorismes percutants ou caustiques*.

Ce superbe récit d'aventures fait autant rêver que méditer.

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*Quelques citations tirées du livre de S. Tesson : 

"L'affût est un pari : on part vers les bêtes, on risque l'échec. Certaines personnes ne s'en formalisent pas et trouvent plaisir dans l'attente. Pour cela il faut posséder un esprit philosophique porté à l'espérance." (p.23)

Le chapitre intitulé L'ordre (p.53-57) survole en quelques pages l'évolution du monde depuis avant le big-bang (!)  : "Hier, l'homme apparut. Son cortex lui donna une disposition inédite : porter au plus haut degré la capacité de détruire ce qui n'était pas lui-même tout en se lamentant d'en être capable." (p.55)  

"L'affût était une prière. En regardant l'animal , on faisait comme les mystiques: on saluait le souvenir primal. L'art aussi servait à cela : recoller les débris de l'absolu." (p.57)

"Loups ! ne restez pas en France [...], un peuple qui aime les majorettes et les banquets ne peut pas supporter qu'un chef de la nuit vaque en liberté" (p.85)

"On attendait une ombre, en silence, face au vide. C'était le contraire d'une promesse publicitaire : nous endurions le froid sans certitude d'un résultat. Au "tout, tout de suite" de l'épilepsie moderne, s'opposait le "sans doute rien, jamais" de l'affût. Ce luxe de passer une journée entière à attendre l'improbable !" (p.110)

"Appelons sens du beau la conviction jouissive de se sentir en vie." (p.128)

"La morale était cette invention de l'homme qui avait quelque chose à se reprocher [...] Il avait débarqué avec une violence pas toujours nécessaire à la survie de sa race et par surcroît sortant des cadres légaux par lui-même institués ! [...] Les bêtes vivaient par delà le bien et le mal. Elles n'étanchaient pas une soif d'orgueil ou de pouvoir. Leur violence n'était pas la rage, leurs chasses n'étaient pas des rafles.  La mort n'était qu'un repas." (p.130)

"L'intensité avec laquelle on se force à jouir des choses est une prière adressée aux absents : ils auraient aimé être là." (p.140)

"Il est plus difficile de vénérer ce dont on jouit déjà que de rêvasser à décrocher les lunes. Les trois instances - foi révolutionnaire, espérance messianique, arraisonnement technologique - cachaient derrière le discours du salut une indifférence profonde au présent. Pire ! elles nous épargnaient de nous conduire noblement, ici et maintenant, nous économisaient de ménager ce qui tenait encore debout." (p.145)

"L'affût commande de tenir son âme en haleine. L'exercice m'avait révélé un secret : on gagne toujours à augmenter les réglages de sa propre fréquence de réception. Jamais je n'avais vécu dans une vibration des sens aussi aiguisée que pendant ces semaines tibétaines. Une fois chez moi, je continuerai à regarder le monde de toutes mes forces, à en scruter les zones d'ombre. Peu importait qu'il n'y eût pas de panthère à l'ordre du jour. Se tenir à l'affût est une ligne de conduite. Ainsi la vie ne passe-t-elle pas l'air de rien." (p.164) 

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Ouvrage disponible auprès de Christine Mauger.

Commentaires

  1. Pour voir la panthère : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10471303
    (lien à ouvrir dans un navigateur)

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  2. Je suis moins enthousiaste que Christine.

    J'ai apprécié les passages sur l'observation et la recherche des animaux, mais beaucoup moins les trop nombreuses citations philosophiques qui émaillent le livre, même si elles révèlent l'étendue des curiosités culturelles de l'auteur.

    Sylvain Tesson fait de la panthère des neiges le symbole de la vie animale, naturelle, libre, dans une nature originelle, par opposition aux animaux domestiqués par l'homme et à l'homme lui-même, maître et destructeur de la planète. Il raconte de façon très convaincante la patience de la quête et de l'approche, en les situant avec réalisme et précision dans l'environnement extrêmement dur des hauts plateaux du Thibet. Mais aussi les flux d'émotions qui parcourent le chasseur pendant l'approche, les efforts physiques qu'il s'impose, l'attention supérieure qu'il développe pendant qu'il guette ou qu'il attend, attentif au moindre indice (bruit, mouvement) décelant -peut-être ! - l'approche de sa proie. Il faut être -ou avoir été- chasseur ou chasseur-photographe pour sentir vraiment la vérité de ces pages. La vie aventureuse de Sylvain Tesson confirme d'ailleurs leur sincérité.

    Malheureusement les maladresses et les approximations ne manquent pas : étymologies grecques présentées comme "latines", phrases alambiquées, emprunts triviaux à des philosophies diverses, recherche de la "formule" qui donne parfois des réussites, parfois des platitudes ou des paradoxes qui se veulent frappants mais sans y parvenir.

    Cela n'enlève rien à la thèse centrale de l'auteur est maintenant largement répandue par les écologistes dans les sociétés "occidentales" ou "développées" : l'homme a conquis la nature, mais il est en train de la détruire et court inéluctablement à sa propre perte. La formule citée par Christine " (l'homme a porté au plus haut degré la capacité de détruire ce qui n'était pas lui-même tout en se lamentant d'en être capable") illustre magnifiquement le déclinisme qui est en voie de s'imposer dans l'opinion publique... des pays qui peuvent se le permettre. Sauf que l'histoire ne s'écrit pas à l'avance et qu'il n'y a rien d'inéluctable puisque des livres comme La panthère des neiges peuvent aider à une prise de conscience collective, préalable nécessaire à une correction de trajectoire.

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